Dans une interview accordée au «Parisien Economie», Sébastien Bazin fait le bilan de l'activité du groupe et explique comment il veut le faire basculer dans l'ère digitale.
Sébastien Bazin dirige désormais le géant de l'hôtellerie qui a réalisé un chiffre d'affaires de 5,5 milliards d'euros en 2013 et emploie 170 000 personnes dans le monde.
| (LP/Philippe Lavieille.)
«Vous dirigez Accor depuis un an exactement. Quel premier bilan tirez-vous ?
Ma priorité en arrivant était de définir une ambition et un projet clair pour le groupe qui prenne en compte la spécificité de ses deux métiers : le premier est centré sur les clients de nos hôtels, le second concerne notre rôle d'investisseur en propriétés hôtelières.
Vous avez également lancé un vaste chantier de réorganisation. Où en est-il ?
Nous avons redonné beaucoup d'autonomie aux patrons de zone géographique pour leur permettre de développer au mieux l'ensemble de nos marques : Ibis pour la catégorie économique, Novotel et Mercure pour le moyen de gamme et MGallery, Pullman et Sofitel pour le haut de gamme et luxe. Les manageurs ont insufflé, dans un temps très court, un vrai changement à leurs équipes, qui repose sur la clarté, l'agilité et la
responsabilisation. Avec succès au regard de notre chiffre d'affaires du premier semestre en hausse de 2,8 %.
«Les pays émergents : 30 % de notre chiffre d'affaires, 80 % de notre développement»
Vous êtes le 4 e groupe hôtelier mondial. Visez-vous le podium ?
Non, la taille n'est pas un objectif. Je veux avant tout que notre parc de près de 3 600 hôtels soit le plus performant. Sur le plan international, hormis les Etats-Unis où nous ne sommes pas présents, Accor est numéro un en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient, en Amérique latine et en Asie-Pacifique. Aujourd'hui, les pays émergents représentent 30 % de notre chiffre d'affaires, mais 80 % de notre développement. Nos efforts portent particulièrement sur des pays comme le Brésil, l'Inde ou l'Indonésie où le nombre de chambres d'hôtel par habitant est cinq fois moins élevé qu'en France. Accor ouvre un hôtel tous les deux jours dans le monde.
Vous réalisez près de 70 % de votre chiffre d'affaires en Europe. N'est-ce pas un handicap avec la crise que nous traversons ?
Non, c'est une bonne chose puisque les pays d'Europe du Nord se portent bien et que l'on assiste à un vrai rebond dans ceux du Sud. En France, malgré une conjoncture difficile, nous avons bien résisté grâce à notre force de frappe, je suis certain que nous allons retrouver de belles années.
Ibis est la locomotive du groupe. Le moyen et le haut de gamme peuvent-ils encore se développer ?
Bien sûr, il y a de la place pour tous les types d'hôtel, du moyen au haut de gamme ! Ibis pèse aujourd'hui pour plus de 50 % de notre activité : c'est une marque internationale qui vise les classes moyennes dans tous les pays où nous sommes implantés. Mais le moyen et le haut de gamme se développent très fortement hors d'Europe où ils véhiculent notre « french touch ».
Quel est le profil du client Accor ?
Dans 3 cas sur 4, c'est un client affaires qui travaille en très grande majorité (80 %) dans une PME ou une TPE. Seuls 25 % de nos clients viennent dans nos hôtels pour le loisir. Mais, dans les deux cas, ils sont de plus en plus exigeants et demandent beaucoup plus qu'une chambre propre et confortable : ils souhaitent du volume, des objets, du design, des parfums. Et ils passent des heures sur les sites (en moyenne 11 sites visités et 25 jours pour réserver) avant de choisir leur chambre d'hôtel. Le digital devient un outil crucial pour avoir une meilleure connaissance de
nos clients et de leurs attentes. Nous avons 38 millions de clients dans notre base de données. Nous devons y puiser pour innover à leur service.
«Un visiteur peut recevoir toutes les informations par SMS»
Quelle est la place du numérique dans votre stratégie ?
C'est une priorité. Accor a lancé le projet « Welcome », un accueil digitalisé qui permet à notre visiteur de recevoir toutes les informations par SMS afin de lui faire gagner du temps au moment de son arrivée. Dans certains cas, un employé peut l'accueillir à la porte et l'accompagner à sa chambre sans passer par la réception. Le numérique n'exclut pas le contact humain, au contraire. Notre métier repose plus que jamais sur l'émotion et donc sur nos 160 000 salariés, dont plus de 35 000 en France.
Le succès de sites de location d'appartement par des particuliers comme Airbnb vous inquiète-t-il ?
Non. C'est un acteur qui va grandir et qui fait un métier connexe puisque nous partageons avec lui une partie de la richesse. Il doit être soumis à la même législation que nous, tant sur la fiscalité que sur les normes de sécurité et d'accessibilité. Les hôteliers ont eu tendance à être trop spectateurs face aux trois vagues numériques qui se sont succédé : d'abord, l'apparition des sites de réservation en ligne, puis des comparateurs de prix permettant de publier ses commentaires, et aujourd'hui, les sites de location de logement entre particuliers. Et ce n'est pas terminé. Nous
devons être dans l'anticipation. Accor doit être acteur de la quatrième révolution numérique.
«La nomination de Macron, c'est courageux»
Qu'attendez-vous des pouvoirs publics ?
Il faut développer une approche beaucoup plus globale du tourisme en France pour conforter notre position de première destination au monde. Je rappelle que ce secteur pèse 7 % de notre PIB ! C'est l'idée que nous défendons à travers l'Alliance 46.2 qui réunit 19 entreprises leaders du secteur. Il est notamment urgent que la France se dote d'une vitrine Internet unique pour vendre notre pays aux touristes étrangers. Et clarifier le mode de rémunération des sites de réservation en ligne qui perçoivent des commissions des hôteliers. Or, en France, 65 % des chambres d'hôtel appartiennent à des indépendants : il faut les protéger.
Quel regard portez-vous sur la nomination du ministre de l'Economie ?
Je connais bien Emmanuel Macron : c'est un homme très compétent qui a beaucoup de cordes à son arc. C'est courageux d'avoir accepté ce poste et courageux de le lui avoir proposé.»
Source: Le Parisien